France
December 23, 2015
Chez les plantes, les infections virales sont à l’origine de pertes importantes. Des chercheurs de l’Inra et du CNRS ont identifié une nouvelle enzyme, RTL1 qui s’attaque spécifiquement aux ARN double-brin et qui est induite en réponse à l’infection virale. S’ils révèlent l’existence d’une nouvelle ligne de défense antivirale chez les plantes, les scientifiques montrent également qu’elle est inhibée par les virus qui en manipulent à leur avantage les différentes propriétés. Ces résultats sont publiés le 22 décembre 2015 dans la revue PLOS Biology.
Les infections virales réduisent fortement la production végétale et en comprendre les modalités constitue un enjeu majeur en agronomie. Au cours de la phase de multiplication des virus, la forme double-brin des ARN viraux est coupée en petits ARN appelés siRNA (en anglais, short interfering RNA) par des ribonucléases de type III (ou RNase III) appelées Dicer. Ces petits ARN participent à la défense de la plante par interférence ARN (en anglais, RNA silencing), en guidant la coupure de la forme simple-brin des ARN viraux par des ribonucléases de type H (ou RNase H) appelées Argonautes.
Les plantes possèdent une autre famille d’enzymes RNase III appelées RTL (en anglais, RNase Three-Like) dont les fonctions sont encore peu connues. A la faveur de l’analyse systématique des RNase III RTL de la plante modèle Arabidopsis thaliana, les chercheurs de l’Inra et du CNRS ont mis en évidence, qu’une enzyme de cette famille, RTL1, est induite en réponse à l’infection virale, ce qui laisse supposer que RTL1 joue un rôle dans les interactions plantes-virus.
RTL1, une RNase III antagoniste des RNase III de type Dicer
Pour mieux comprendre la fonction biochimique de la RNase III RTL1, les scientifiques l’ont exprimée de manière constitutive chez A. thaliana. Ils ont observé que RTL1 empêche la production de siRNAs dans la cellule contrairement aux RNase III de type Dicer qui les produisent. Ils ont montré que RTL1 coupe spécifiquement les ARN double-brin et en particulier les ARN double-brin précurseurs des siRNA avant qu’ils soient coupés par les RNase III de type Dicer.
Rôle de RTL1 dans les interactions plantes-virus, défense ou cheval de Troie ?
La capacité de RTL1 à couper tous les ARN double-brin et son induction en réponse à l’infection virale laissaient donc penser que cette enzyme pouvait contribuer à augmenter la résistance des plantes aux virus en s’attaquant à la forme double-brin de l’ARN viral. Pour tester cette hypothèse, les scientifiques ont infecté des plantes sauvages, exprimant faiblement RTL1 et des plantes exprimant RTL1 de manière constitutive. A leur grande surprise, ils ont constaté que la surexpression de RTL1 aggrave les symptômes causés par des virus peu agressifs (c’est-à-dire causant naturellement des symptômes faibles), et n’a pas d’effet sur les symptômes provoqués par des virus très agressifs. Dans le cas des virus peu agressifs, l’aggravation des symptômes est due au blocage de la production des siRNA d’origine virale, essentiels dans la lutte de la plante contre l’infection. Dans le cas des virus très agressifs, l’activité de RTL1 est inhibée par les protéines virales VSR (en anglais, viral suppressor of RNA silencing) connues pour inhiber le mécanisme d’interférence ARN. .
Ces travaux soulignent donc la multiplicité des ribonucléases ciblant les ARN viraux : la RNase III RTL1 qui détruit les ARN double-brin, les RNase III Dicer qui transforment en siRNA les ARN double-brin qui ont échappé à RTL1, et les RNase H Argonaute qui détruisent les ARN simple-brin complémentaires des siRNA.
Malheureusement pour les plantes, les virus ont développé des stratégies pour échapper à ces trois types de ribonucléases. Les virus très agressifs produisent des protéines VSR capables de les inhiber. Les virus peu agressifs se répliquent dans des compartiments sub-cellulaires où ils sont à l’abri de l’action de RTL1, tout en induisant la production de cette même enzyme afin de limiter la production des siRNA, ce qui réduit l’impact des défenses par interférence ARN.
En inhibant RTL1 ou en induisant l’expression de RTL1 pour la retourner contre cet autre mécanisme de défense antiviral qu’est l’interférence ARN, les virus semblent avoir trouvé là un moyen efficace de contourner les défenses de la plante qui ont pour cible l’ARN viral. Ce scénario en cascades dévoile finalement un nouveau niveau de complexité dans la lutte que se livrent plantes et virus.
Référence :
Plants encode a general siRNA suppressor that is induced and suppressed by viruses
Shamandi N, Zytnicki M, Charbonnel C, Elvira-Matelot E, Bochnakian A, Comella P, Mallory AC, Lepère G, Sáez-Vásquez J, Vaucheret H
PLoS Biology,22 décembre 2015, DOI: 10.1371/journal.pbio.1002326